Le ROI de la veille ou la quête du Graal

Calculer le ROI de la veille

La question de la rentabilité de la veille préoccupe beaucoup les praticiens. Si bien que l’on assiste à une sorte de quête du Graal pour trouver la formule magique qui permettrait de calculer le ROI (return on investment) de la veille. Grâce au ROI, mesure largement répandue qui consiste à mettre en relation les coûts et les bénéfices d’une activité, d’une machine, d’un logiciel, etc., les veilleurs seraient capables de démontrer une fois pour toute aux décideurs que le jeu en vaut bien la chandelle. Prochainement, un webinar proposé par la SLA et animé par Jan Herring, consultant et auteur expérimenté dans le domaine de la veille, proposera ni plus ni moins de calculer le ROI de la veille (Calculating the ROI of Competitive Intelligence). Nous avons hâte de le suivre !

Une mesure pas si objective

Intuitivement, on conçoit le ROI comme une mesure simple, objective et quantitative (le bénéfice divisé par les coûts). Pourtant, en consultant les publications consacrées au ROI de la veille, on s’aperçoit que toutes sortes de méthodes de calculs sont proposées, sophistiqués, souvent subjectives et qualitatives. La littérature scientifique en offre deux exemples particulièrement parlants. Davison crée en 2001 son ROCII (return on competitive intelligence investment) en s’inspirant de ce qui se fait dans le domaine de la publicité. Ce modèle repose en fait essentiellement sur l’atteinte des objectifs et la mesure de la satisfaction du client. On est donc bien éloigné d’une évaluation objective de l’efficience de l’activité de veille. Quant à Kilmetz et Bridge, leur proposition de calcul du ROI est en fait une évaluation de l’opportunité ou non d’intégrer la veille dans un projet en élaborant différents scénarios. Ce qui laisse une certaine marge à l’interprétation… En somme, comme le relève Fillias et Guilain dans leur white paper sur le ROI d’un logiciel de veille, « le ROI est donc, avant tout, le résultat d’un accord entre les parties prenantes. ». Calculer le ROI de la veille, ce n’est pas prouver une fois pour toute qu’elle est rentable mais bien démontrer, dans une situation donnée, à l’aide de critères définis en accords avec le management (gain de temps, réduction des coûts, etc.) qu’elle apporte de la valeur. De fait, force est de constater que le calcul de ROI n’est possible que dans de rares cas. Il peut s’appliquer de manière ponctuelle à des projets spécifiques mais n’est pas adapté à l’évaluation de l’ensemble de l’activité de veille.

La Balanced Scorecard, un outil de mesure pluriel

Au fond, le ROI semble être tout simplement une notion inadaptée pour rendre compte de l’impact que peut avoir un dispositif de veille sur la performance d’une entreprise. Les bénéfices de la veille sont souvent indirects, intangibles et pas nécessairement de nature purement financière. Il semble donc préférable de se tourner vers des modèles d’évaluation multidimensionnels de la performance de type Balanced Scorecard (en français, tableau de bord prospectif). La Balanced Scorecard (BSC) a été créé par Kaplan et Norton en 1992. Faisant le constat de l’insuffisance des mesures de performances financières traditionnelles pour piloter les entreprises dans un environnement de plus en plus compétitif, les auteurs ont mis sur pied un modèle qui décline la stratégie de l’entreprise selon 4 perspectives : client, interne (processus), innovation & apprentissage et financière. Pour chacun de ces axes, des objectifs sont fixés et des indicateurs sont définis pour mesurer l’atteinte de ces objectifs. Ce modèle paraît particulièrement bien adapté à la veille. En effet, la BSC est un instrument souple, qui s’adapte à différents contextes et qui permet au service de veille de s’aligner sur les objectifs stratégiques de l’organisation. Au-delà des objectifs commerciaux et financiers, la fonction veille pourra mettre en avant des bénéfices tels qu’un meilleur partage des connaissances (axes innovation & apprentissage) ou des gains de temps pour d’autres services (axe processus). Deux études de cas (Viscount 2002,Pirttimäki, Lönnqvist, Karjaluoto 2006) que nous avons consultées donnent des exemples d’utilisation de la BSC pour mesurer l’efficacité et l’impact de la veille. Les entreprises suisses utilisent-elle également ce type d’outil ? C’est ce que la partie terrain de notre recherche nous permettra de découvrir dans les prochaines semaines.

Ce billet est paru originellement sur Recherche d’ID, le carnet de recherche des étudiants du master en information documentaire de la Haute école de gestion de Genève

5 thoughts on “Le ROI de la veille ou la quête du Graal

  1. En effet, la rentabilité reste un aspect primordial à considérer dans le cadre de l’évaluation d’un service. Il ne sert à rien de viser la performance au niveau opérationnel si l’entreprise ne répond pas à sa finalité de générer du profit pour ses actionnaires. Ainsi, l’aspect financier reste bien présent dans la vision multidimensionnelle de la performance proposée par la Balanced Scorecard. Kaplan et Norton souligne que « A failure to convert improved operational performance, as measured in the scorecard, into improved financial performance should send executives back to their drawing boards to rethink the company’s strategy or its implementation plans. ». Ils admettent toutefois que les liens entre performance opérationnelle et financière ne sont pas aisé à établir : « The challenge is to learn how to make such explicit linkage between operations and finance. Exploring the complex dynamics will likely require simulation and cost modeling. ». Et c’est bien là le challenge que devrait relever un outil approprié d’évaluation de la veille.

  2. La question est d’autant plus prégnante que le travail se fait pour le court terme et d’autant plus complexe que le résultat attendu est à long terme. Quand vous surveiller un pan relativement restreint de votre environnement et à des fins d’observer des réactions sur des échéances courtes, l’évaluation est relativement facile (du type : “j’ai vu venir le coup” ou pas :)).
    Quand le travail que vous faites porte sur le temps long, l’évaluation est plus complexe et la mesure est plus “relative” ou qualitative que quantitative. Pour le temps long (sur lequel j’ai plus d’expérience) des mesures du type position concurrentielle ou niveau relatif de maitrise des FCS peuvent donner des indications intéressantes.
    N’empêche que la mesure reste complexe … Mais, après tout, ce qui pose problème ce n’est pas qu’il est difficile de mesurer un ROI sur une pratique qui permet d’améliorer la compréhension de son environnement, c’est plutôt qu’il faille maintenant justifier toute action par une mesure financière ! Comme si toute action ne pouvait se justifiée que par une rentabilité … Cette dérive implique une prédominance du court terme … mais ceci est une autre histoire ?

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